J’ai lu
Quatrième de couverture
Tandis que le pays s’embrase de colères, Geoffroy, treize ans, vit dans un monde imaginaire qu’il ordonne par chiffres et par couleurs. Sa pureté d’enfant « différent » bouscule les siens : son père, Pierre, incapable de communiquer avec lui et rattrapé par sa propre violence ; sa mère, Louise, qui le protège tout en cherchant éperdument la douceur. Et la jeune Djamila, en butte à la convoitise des hommes, fascinée par sa candeur de petit prince.
Fureurs, rêves et désirs s’entrechoquent dans une France révoltée. Et s’il suffisait d’un innocent pour que renaisse l’espoir ? Alors, peut-être, comme l’écrit Aragon, « un jour viendra couleur d’orange (…) Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront ».
Dans un style lumineux, vibrant, une grande histoire d’humanité retrouvée.
Un livre plein de poésie où la colère s’estompe face à l’espoir.
Le monde de Geoffroy, souffrant d’un autisme qui l’isole des autres enfants et de son père Pierre, est structuré par les couleurs et les chiffres. Pierre trouve dans le mouvement des gilets jaunes une façon de libérer sa colère. Louise sa femme travaille dans un service de soins palliatifs et fait en sorte que pour ses patients la mort soit la plus douce possible. Entre Geoffroy et Djamila va naitre une très belle histoire d’amour .
J’ai aimé ce style d’écriture minimaliste tellement émouvante, percutante. L’art de nous toucher par les personnages qu’il dépeint avec poésie et justesse, des êtres mus par cette envie de vivre pour faire face à tous les obstacles.
“Il faisait encore nuit lorsqu’ils sont partis. Les pleins phares de la voiture élaguaient l’obscurité avant d’éclabousser de jaune, pour un instant, les murs des dernières maisons du village, puis tout replongeait dans les ténèbres. Ils étaient six, serrés, presque coincés, dans le Kangoo qui roulait à faible allure. Ils portaient des bonnets comme des casques de tankistes, des gants épais, des manteaux lourds – la nuit était froide. L’aube encore loin. Ils avaient des têtes fatiguées de mauvais garçons, même les deux femmes qui les accompagnaient. Ils ne se parlaient pas mais souriaient déjà, unis dans une même carcasse, un entrelacs de corps perclus de colères et de peurs”
“Dans chacune des chambres, le mur qui faisait face au lit était bleu. Un bleu azurin, presque pastel. Un ciel dans lequel on se cognait. Une immensité en trompe-l’œil. Une couleur d’eau fraîche qui possédait un effet calmant et faisait baisser la tension artérielle. On disait même que le bleu pouvait réduire la faim. Et ici, au cinquième étage, c’était de fin de vie dont on parlait. Ceux qui arrivaient avaient encore faim mais plus aucun appétit. Les bouches ne mordaient plus. Les doigts tricotaient le vide. Parfois, les yeux suppliaient. Les malades partaient mais voulaient rester encore. Alors on soulageait les corps, on nourrissait les âmes.”
“Je crois qu’il existe aussi une vérité poétique. Et elle me fait peur, parce qu’elle se situe dans le cœur. Pas dans le cerveau, qui est un ordinateur. Si cette vérité est possible, alors on devrait tous se mélanger. On gommerait ainsi le blanc, le noir, le rouge, le jaune et il n’y aurait plus qu’une seule couleur. Celle de l’être humain. On ne peut pas être raciste envers soi-même. Djamila avait frappé ses mains. C’est exactement ça la poésie, Geoffroy! C’est tout ce qui peut changer le monde en beauté. Même si c’est illogique. Mais l’illogisme est encore une forme de logique, avait commenté le garçon malicieux. Alors, poursuit Hagop après cette longue explication, je lui ai répondu que les ennuis venaient quand les hommes avaient perdu le sens de la poésie. Étaient restés sourds aux murmures du cœur.”
J’ai lu
Quatrième de couverture :
Elle a trente ans, elle est professeur, mariée à un "cadre", mère de deux enfants. Elle habite un appartement agréable. Pourtant, c’est une femme gelée. C’est-à-dire que, comme des milliers d’autres femmes, elle a senti l’élan, la curiosité, toute une force heureuse présente en elle se figer au fil des jours entre les courses, le dîner à préparer, le bain des enfants, son travail d’enseignante. Tout ce que l’on dit être la condition "normale" d’une femme.
La narratrice retrace son enfance sans contrainte, entre un père tendre et une mère ardente, qui se partageaient le plus naturellement du monde les tâches de la maison et d’un commerce. Elle dit ses désirs, ses ambitions de petite fille, puis ses problèmes d’adolescente quand pour être aimée, elle s’efforce de paraitre comme ils préfèrent que soient les filles, mignonne, gentille et compréhensive. C’est ensuite l’histoire cahoteuse du cœur et du corps, l’oscillation perpétuelle entre des rêves romanesques et la volonté de rester indépendante,la poursuite sérieuse d’ études et l’obstinée recherche de l’amour. Enfin, la rencontre du frère d’élection, de celui avec qui tout est joie, connivence, et après des hésitations, le mariage avec lui. Elle avait imaginé la vie commune comme une aventure; la réalité c’est la découverte des rôles inégaux que la société et l’éducation traditionnelle dévoluent à l’homme et à la femme. Tous deux exercent des métiers un métier après des études d’un niveau égal, mais à elle seule, les soucis du ménage, des enfants, de la subsistance. Simplement parce qu’elle est femme.
La voix de ce récit ne gémit pas, elle ne s’apitoie pas sur un sort auquel elle a consenti, par vanité de tout concilier, lâcheté ou conformisme. Elle rit, crie, ou constate calmement: “ Elles ont fini sans que je m’en aperçoive, les années d’apprentissage. Après c’est l’habitude. Uns somme de petits bruits à l’intérieur, moulin à café, casseroles; prof discrète, femme de cadre vêtue de Cacharel ou Rodier dehors. Une femme gelée.”
Un récit autobiographique d’une justesse sans faille sur la condition des femmes dans les années 60. Et bien après si l’on en croit les nombreux témoignages de femmes jusqu’à nos jours, même si on note une amélioration dans la répartition des tâches ménagères. J’aime beaucoup la manière qu’a cette auteure de se décrire à la fois personnelle et universelle.
Extraits
“ Et je l’ai lue la bible des mères modernes, organisées, hygiéniques, qui tiennent leur intérieur pendant que leur homme est au « bureau », jamais à l’usine, ça s’appelait "J’élève mon enfant", je, moi, la mère, évidemment. Plus de quatre cents pages, cent mille exemplaires vendus, tout sur le « métier de maman », il m’a apporté ce guide un jour, peu de temps après notre arrivée à Annecy, un cadeau. Une voix autorisée, la dame du livre, comment prendre la température, donner le bain, un murmure en même temps, comme une comptine, « papa, c’est le chef, le héros, c’est lui qui commande c’est normal, c’est le plus grand, c’est le plus fort, c’est lui qui conduit la voiture qui va si vite. Maman, c’est la fée, celle qui berce, console, sourit, celle qui donne à manger et à boire. Elle est toujours là quand on l’appelle », page quatre cent vingt-cinq. Une voix qui dit des choses terribles, que personne d’autre que moi ne saura s’occuper aussi bien du Bicou, même pas son père, lui qui n’a pas d’instinct paternel, juste une « fibre ». Ecrasant. En plus une façon sournoise de faire peur, culpabiliser, « il vous appelle… vous faites la sourde oreille… dans quelques années, vous donnerez tout au monde pour qu’il vous dise encore : Maman, reste “
“ prof, quel métier extraordinaire "pour une femme", dix-huit heures de cours, le reste du temps à la maison, des tas de vacances pour s’occuper de ses enfants, le rêve, enfin un travail parfaitement indolore pour l’entourage, la femme qui se "réalise", rapporte du fric, reste bonne épouse, bonne mère, qui s’en plaindrait. Moi, même plus, le coup de la femme totale je suis tombée dedans, fière à la fin, de tout concilier, tenir à bout de bras la subsistance, un enfant et trois classes de français, gardienne du foyer et dispensatrice de savoir, supernana, pas qu’intellectuelle, bref harmonieuse.
“Organiser, le beau verbe à l’usage des femmes, tous les magazines regorgent de conseils, gagnez du temps, faites ci et ça, ma belle-mère, si j’étais vous pour aller plus vite, des trucs en réalité pour se farcir le plus de boulots possible en un minimum de temps sans douleur ni déprime parce que ça gênerait les autres autour.”