Je me souviens
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Durgalola à la barre de cette 200ème édition nous précise pour le défi du jour :
la principale consigne est de commencer son texte par
"je me souviens" et une proposition de consigne supplémentaire, uniquement si vous en avez envie, : choisir un mot unique dans la liste et l’intégrer dans votre texte :
"maison, anniversaire, rouge, bateau ou lundi"
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Je me souviens , le jour ne filtrait pas encore au travers des rideaux de la chambre , la maison accrochée à un halo de brume , somnolait encore dans ces mois d’août bretons . Seuls les escaliers en bois semblaient être réveillés , gémissant à chaque pression des pieds, pourtant précautionneux de papa. S’il avait pu marcher sur la tête pour ne réveiller personne, il l’aurait fait sans aucune réticence . Avant que ses doigts n’effleurent la porte de ma chambre , les effluves du café qu’il avait préparé ne manquaient pas de chatouiller mes narines. “ La mémoire est du temps incorporé “ disait Marcel Proust , laissons là parler .
Il avait pour habitude de se lever le premier pour ce réveil matin indispensable , la pêche ne saurait être abordée par des esprits endormis, surtout sur cette côte encore sauvage que nous aimions tant . Ce n’est qu’au tout dernier moment quand tout était fin prêt qu’il venait me chercher . La veille tout le matériel nécessaire au lancer avait été soigneusement vérifié , bichonné , les cannes attendaient sagement d’être mises dans la voiture ainsi que les appâts entreposés dans des petits seaux plastiques , les sacs à dos prêts à être portés . S’y glisseraient au dernier moment les délicieux sandwichs préparés par maman et quelques friandises bien appréciables au moment des pauses .
Après une vérification en règle de ce qui se trouvait à l’intérieur du véhicule, sans oublier bien sur les indispensables bottes , nous partions pour la pointe de Beg an Fry non loin de Locquirec où nous logions . Nous arrivions avec les premières lueurs du jour sur place où nous laissions la voiture non loin d’une ferme , puis nous commencions à nous diriger vers notre lieu de pêche . Papa qui connaissait le chemin par cœur ouvrait la marche , la casquette bleue déjà vissée sur la tête .
Ajoncs, fougères et bruyères bordaient les sentiers que nous empruntions . Parfois se frayer un passage n’était pas chose aisée , les fougères atteignant souvent deux mètres prenaient un malin plaisir à envahir le chemin . Mais le plus impressionnant c’était la descente de la pointe de Runglaz , si je n’avais qu’un léger sac à porter, papa lui s’occupait de tout le reste du matériel . Je ne sais pas encore maintenant comment il pouvait négocier avec autant d’aisance cette descente dans les rochers, en dernier elle aurait presque pu faire penser à de la varappe tellement le chemin était escarpé . De chaque côté le vide que je m’efforçais de ne pas regarder , concentrant uniquement mon attention sur mes appuis et guidée aussi par les conseils avisés de papa .
Les derniers mètres franchis nous arrivions sur une assez grande plate – forme où nous entreposions tout notre matériel . Maintenant la pêche pouvait commencer , papa montait les lignes pour le lancer, choisissant le type d’hameçons, le leurre , ou l’appât. Bien que répugnant à l’idée de prendre certains gros vers présents dans les seaux , je fus très vite à l’aise avec les gravettes moins repoussantes et les lui tendais sans sourciller .
Ensuite nous choisissions notre rocher non sans avoir prévu notre retraite si la marée était montante , les vagues n’hésitant pas à cingler la roche avec force. Non loin de là se trouvait une grotte dans laquelle je ne manquais jamais d’aller faire quelques incursions à marée basse , histoire d’attraper quelques gobies au cas où les maquereaux , les orphies ou les lieux ne seraient pas au rendez – vous , retournant aussi les grosses pierres pour y dénicher un éventuel tourteau .
Le trou à congres qui la bordait me fascinait , d’une part parceque les remous avant qu’il ne soit dégagé étaient phénoménaux, d’autre part pour le poisson lui – même que je ne tenais pas du tout à avoir au bout de ma ligne, ce serpent des mers pouvant mesurer jusqu’à 2 mètres pour 10 kilos .
Ces moments, je ne les ai jamais oubliés et je n’ai qu’une hâte c’est de pouvoir retourner là – bas pour faire resurgir cette complicité dans ce cadre magnifique , mes parents étant passés tous les deux de l’autre côté du miroir.