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Soif

“ Pour éprouver la soif , il faut être vivant ” , inutile de vous dire que la brièveté de cette quatrième de couverture intrigue, mais dès que vous commencez à lire la première page du roman d’Amélie Nothomb ,  tout s’éclaire.

“ J’ai toujours su que l’on me condamnerait à mort .L’avantage de cette certitude c’est que je peux accorder mon attention à ce qui le mérite : les détails .

Je pensais que mon procès serait une parodie de justice. Il l’a été en effet , mais pas comme je l’avais cru. À la place de la formalité vite expédiée que j’avais imaginée , j’ai eu droit au grand jeu . Le procureur n’a rien laissé au hasard.

Les témoins à charge ont défilé les uns après les autres . Je n’en ai pas cru mes yeux quand j’ai vu arriver les mariés de Cana, mes premiers miraculés “

Comme vous l’avez compris , Amélie Nothomb va raconter dans ce roman les derniers jours de Jésus à la première personne . Toute petite elle se sentait déjà en connivence avec lui . “ Petite je voulais devenir Dieu . Très vite je compris que c’était trop demander et je mis un peu d’eau bénite dans mon vin de messe : je serais Jésus “ ( Stupeur et tremblements ) .

Bien sur l’histoire est archiconnue mais la façon dont l’auteure nous la présente est toute nouvelle . En effet, en insistant sur les détails  que ce roman développe, les derniers jours sont vus sous un tout autre éclairage. 

Que ce soit avec l’opinion des mariés de Cana sur le vin miraculeux,  la relation amoureuse avec Marie Madeleine, la mélodie de la voix de  Véronique, Simon de Cyrène qui aide à porter la croix, les détails  hors évangiles nous montrent chaque fois  l’importance que revêt le corps pour Jésus .

“ Avant l’incarnation , je n’avais pas de poids . Le paradoxe, c’est qu’il faut peser pour connaitre la légèreté . L’ébriété délivre de la pesanteur et donne l’impression que l’on va s’envoler.L’esprit ne vole pas , il se déplace sans obstacle , c’est très différent . Les oiseaux possèdent un corps, leur envol relève de la conquête..Je ne le répèterai jamais assez : avoir un corps , c’est ce qui peut arriver de mieux .”

L’incarnation y est   analysée de façon subtile dans cet espace temps qui offre un léger sursis à l’exécution . Pour la première fois , l’aspect humain du Christ prend le dessus sur son image habituelle se rapprochant plutôt de celle d’un ascète.

“ J’ai la conviction infalsifiable d’être le plus incarné des humains . Quand je m’allonge pour dormir ce simple abandon me procure un plaisir si grand que je dois m’empêcher de gémir . Manger le plus simple brouet m’arracherait des soupirs de volupté si je n’y mettais pas bon ordre. Il m’est déjà arrivé de pleurer de plaisir en respirant l’air du matin  “  

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Concernant la crucifixion il y a mépris du corps, c’est pourquoi l’auteure  pose alors la question de savoir comment ce mépris   est censé   racheter  les péchés de l’humanité et se conforter avec le  “aimez vous les uns les autres comme Dieu vous aime” . Elle questionne  cette haine du corps longtemps prônée par la tradition religieuse, notamment dans la glorification du martyre  .

Le regard que Jésus pose sur sa propre existence et sur l’humanité ne peut qu’être souligné , il est celui d’un sage plein de lucidité .

Comme vous l’avez compris , j’ai beaucoup aimé ce roman , je trouve que l’auteure a parfaitement réussi à éviter certains pièges et l’aspect philosophique de ses propos est un plus dans ce roman .

Quelques autres extraits :

“ Il n’y a pas d’art plus grand que celui de vivre “

“  L’amour universel est un acte de générosité qui suppose une lucidité douloureuse.”

“L’amour concentre la certitude et le doute : on est sûr d’être aimé autant qu’on en doute, non pas tour à tour, mais en une simultanéité déconcertante.”